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les types de narration

narration, desc. & dialogues

Lorsque l’on parle de littérature et plus précisément de la narration, il y a un sujet qui risque de revenir tôt ou tard : le type de narration. Que vous sachiez ou non ce que ces termes renferment, vous utilisez forcément un ou plusieurs types de narration, et un ou plusieurs types de focalisation dans vos écrits. Mais attendez, comment se fait-il qu’on parle tout d’un coup de types de narration ET de focalisation ? Pas de panique, je vous explique tout ça !

sommaire

Bien que cet article porte sur les différents types de narration, et que la plupart des articles que vous aurez pu lire à ce sujet ne parlent que de ça aussi (parfois, il est plutôt question de type de narrateur.ice), il faut savoir qu’il existe une différence entre la forme de narration et la focalisation. Malheureusement pour la focalisation, on a tendance à ne parler que de narration (ou de point de vue) pour désigner la manière de raconter une histoire, alors que les types de narration diffèrent subtilement des types de focalisation, et que cette différence peut être cruciale.

Cet article se base principalement sur la théorie de Genette, énoncée en 1980. Bien que cette théorie soit assez pratique, elle n’est plus vraiment d’actualité, et je suis consciente qu’en cherchant à vulgariser des concepts parfois vraiment complexes, je m’expose à certaines inexactitudes. Néanmoins, connaître les éléments de cette théorie peut déjà vous aider à y voir plus clair, et je ne peux que vous inviter à creuser le sujet de votre côté en parallèle !

Alors, les types de narration, qu’est-ce que c’est ? Et pourquoi on ne parle pas de narration tout court, tiens ?

La narration, selon le CNRTL, c’est un « récit développé dans une oeuvre littéraire; [un] exposé détaillé de la suite de faits et d’actions constituant l’intrigue (d’une oeuvre littéraire)». Vous l’aurez constaté, cette définition est assez large. C’est pour cela que l’on va parler de « types/formes de narration » lorsqu’il s’agit des manières d’aborder une histoire, car cela donne une idée plus précise de ce que l’on désigne. On pourrait considérer comme plus exact de parler de type de narrateur.ice, même si cela peut mener à quelques confusions.

Bon, les types de narration sont les manières d’aborder une histoire, mais encore ? Là aussi, c’est super large comme définition ! En fait, les types de narration, ce sont les différents choix que l’on peut faire pour établir qui prend en charge la diégèse, c’est-à-dire qui raconte l’histoire (la « diégèse » se rapportant à « l’univers spatio-temporel désigné par le récit », selon Genette). Concrètement, si on réduisait la narration à une suite d’événements perçue et racontée par quelqu’un, le choix du type de narration désignerait qui ce serait et sa relation au récit. Vous suivez ?

A contrario, la focalisation serait plutôt le personnage qui oriente la perspective narrative et comment il y arrive, ce qui reviendrait à dire que la focalisation représente ce que la personne choisie est capable de percevoir, si on reprend notre exemple précédent. Cette définition nous vient aussi du fameux Genette (ai-je dit que son prénom était Gérard ?).

En très bref, les types de narration répondent à la question « Qui raconte ? » et la focalisation répond à la question « Qui voit ? », ou plutôt « Que voit cette personne ? ». Cette précision explique pourquoi on ne devrait plus vraiment utiliser le concept de « point de vue », car il ne fait pas forcément la distinction entre ces deux questions, pourtant cruciales.

Voilà, les bases sont posées. Dès lors, nous pouvons nous intéresser en détail aux types principaux de narration, à commencer par la narration externe.

Quand on parle de narration externe, on fait très souvent référence au cas de figure dans lequel le récit est narré par une personne/entité extérieure à celui-ci. Pour être vraiment exacte, on parle plutôt de narration « hétérodiégétique » : ici, « hétéro- » montre que le.a narrateur.ice n’appartient pas au récit (c’est-à-dire la diégèse) en tant que personnage, d’où le radical « diégé ». Ainsi, la narration hétérodiégétique désigne le cas où la tâche de narrer le récit n’incombe à aucun des personnages qui y sont présents.

Sans parler de la focalisation associée à ce type de narration, je ne peux pas rentrer dans le détail de ses usages. En effet, quand on parle de narration externe, on parle plutôt de narration hétérodiégétique à focalisation externe, comme l’a théorisé Genette, et les éléments qui vont le plus influencer notre écriture (les détails intéressants, quoi…) touchent plutôt à la focalisation et non à la forme de narration.

Néanmoins, pour ne pas vous laisser sur votre faim, la narration hétérodiégétique peut être mise en parallèle avec une caméra lors du tournage d’un film : ladite caméra est extérieure aux événements, son rôle se cantonne au fait de les filmer, permettant ainsi de les restituer tels qu’ils se sont produits.

En pratique, voilà à quoi peut ressembler un passage en narration hétérodiégétique (avec focalisation externe) :

« Il pouvait être cinq heures, cinq heures et demie, lorsque Gunther Beckenfür, qui était occupé à rafistoler le toit de son abris de berger, sur le Revers du Bourenkopf, aperçut sur la route qui vient de la frontière, et sur laquelle depuis la fin de la guerre on ne voit jamais rien, où personne ne va plus, où personne n’aurait l’idée d’aller, jamais, un curieux équipage. »
Le Rapport de Brodeck, Philippe Claudel

Lorsqu’on parle de narration interne, on désigne souvent le cas de figure où la narration est dite « homodiégétique », puisque le.a narrateur.ice est présent.e dans le récit narré, selon la théorie de Genette encore une fois. On peut aller encore plus loin dans son raisonnement en parlant du fait que si la narration est homodiégétique, le.a narrateur.ice peut avoir divers degrés de présence dans le récit. Lorsque cette présence est forte, on va se rapprocher d’un.e narrateur.ice autodiégétique, sachant que ce terme est particulièrement approprié pour les récits dans lesquels narrateur.ice et personnage principal se confondent. Inversement, lorsque le récit est narré par un personnage très peu présent dans le récit (dans le schéma ci-dessous, on utilise l’exemple du témoin oculaire non-impliqué), on va parler de narration altérodiégétique.

Types de narrateur.ices homodiégétiques en fonction de leur degré d'autodiégéticité (d'après Lanser, 1981)

Vous l’aurez peut-être vu venir, mais ce que l’on appelle « narration interne » est plutôt une narration homodiégétique à focalisation interne, mais en pratique, elle peut tout aussi bien être hétérodiégétique (à focalisation interne, toujours). Donc, là encore, si vous voulez en savoir plus sur ce que la focalisation interne implique, il va falloir aller consulter la section dédiée !

Il est nécessaire de noter qu’une narration homodiégétique n’implique pas forcément qu’elle soit en focalisation interne, et il en est de même pour la narration hétérodiégétique qui n’est pas forcément en focalisation externe (quoi que pour cette dernière, il est peu commun d’y coupler autre chose qu’un point de vue externe). En effet, il existe de nombreuses combinaisons possibles entre les formes de narration et de focalisation, et je me suis contentée d’aborder les plus communes dans cet article.

Cependant, je peux d’ores et déjà proposer un exemple de narration homodiégétique (avec focalisation interne) :

On est chez lui. Il m’a servi un verre de bière. J’écris. Il mâchouille une cigarette qu’il vient de se rouler, demi-tabac, demi-lichen, et qui, lance dans la pièce une puanteur de corne brûlée. Dans un coin, il y a son vieux père, la mère est morte depuis beau temps. Le vieux se parle tout seul, dans le gargouillis de sa mâchoire où il ne reste plus que deux ou trois dents, tout en secouant continuellement sa frêle tête d’étourneau à la façon des angelots à pièce des églises. Au dehors, la neige s’est mise à tomber. La première neige, celle qui réjouit les enfants et dont la neuve blancheur aveugle. On la voit venir parfois près de la fenêtre, en curieuse, comme des centaines d’yeux tournés vers nous, puis repartir effarouchée à grandes brassées vers la rue.
Le Rapport de Brodeck, Philippe Claudel

La narration omnisciente est elle aussi hétérodiégétique, puisque lorsqu’on parle de narration omnisciente, on désigne encore une fois un cas de figure où le récit est narré par quelqu’un qui n’appartient pas au récit. Comme pour les deux types de narration précédents, je vais donc m’empresser de dire que lorsqu’on parle de narration omnisciente, on fait très souvent référence à un récit hétérodiégétique en focalisation omnisciente.

Les exemples de narration omnisciente abondent sous sa forme hétérodiégétique en focalisation omnisciente, comme dans l’extrait ci-dessous, mais comme dit plus haut, d’autres combinaisons sont possibles.

Il part en direction de la gare maritime du Havre afin de se rendre en Amérique du Nord. C’est la première fois qu’il y va, ce sera la dernière. Il lui reste aujourd’hui, pile, dix ans à vivre.
Ravel, Jean Echenoz

Voilà sans doute le moment que vous attendiez le plus : on va enfin parler de focalisation, et ce que ça implique.

Par principe, la focalisation externe emploie la troisième personne (il/elle/ils/elles), à moins qu’il y ait de rares exceptions dont je n’ai pas la connaissance. Elle permet d’obtenir un récit entièrement objectif, du moins en ce qui concerne la restitution des événements qui lui le constituent, puisque certains choix faits lors de la narration par vous, qui écrivez l’histoire, sont subjectifs et souvent choisis. La focalisation externe est généralement caractérisée par un style descriptif, que l’on pourrait voir comme distant des personnages et de leurs ressentis. C’est pour cela qu’on la rencontre dans de nombreux genres littéraires, sans qu’elle les caractérise forcément, permettant ainsi d’instaurer une ambiance mystérieuse par exemple.

La focalisation externe va très souvent de paire avec la narration hétérodiégétique (on le repère au fait que la focalisation externe emploie très souvent la troisième personne) et c’est cet assemblage que l’on nomme, quelque peu à tort, « narration externe », ou « point de vue externe ». Si vous vous souvenez bien, j’avais illustré ce type de narration à l’aide de l’exemple d’une caméra qui filmerait une scène de façon a la restituer de façon objective. Cet exemple marche tout aussi bien, si ce n’est mieux, une fois qu’on ajoute la focalisation externe dans l’équation. En effet, il permet d’illustrer le fait que la focalisation externe se caractérise essentiellement par le fait que le récit se limite aux détails extérieurs de la scène en focalisation externe (extérieurs, externes… vous avez vu, c’est pas très compliqué), c’est-à-dire que le.a narrateur.ice se contente d’observer la scène de l’extérieur, sans rentrer dans la tête des personnages, exactement comme une caméra.

Cependant, il est nécessaire de mentionner que tout comme dans un film, les éléments présentés auront beau être objectifs, ils restent tout de même soigneusement sélectionnés de façon subjective : pensez aux plans qui se focalisent sur un décor ou un personnage particulier lors de moments choisis, par exemple.

C’est donc là, réellement, que je peux me permettre de proposer mon exemple de focalisation externe (ou de narration hétérodiégétique en focalisation externe, si vous avez tout suivi jusque-là) :

Il pouvait être cinq heures, cinq heures et demie, lorsque Gunther Beckenfür, qui était occupé à rafistoler le toit de son abris de berger, sur le Revers du Bourenkopf, aperçut sur la route qui vient de la frontière, et sur laquelle depuis la fin de la guerre on ne voit jamais rien, où personne ne va plus, où personne n’aurait l’idée d’aller, jamais, un curieux équipage.
Le Rapport de Brodeck, Philippe Claudel

Un deuxième pour la route ?

Il ne resta plus qu'un seul client au comptoir. Dans la salle, les quatre autres parlaient par intermittence. Un couple arriva. La patronne le servit et reprit son tricot rouge délaissé jusque-là à cause de l'affluence. Elle baissa la radio. La mer, assez forte ce soir-là, se fit entendre sur les quais, à travers des chansons.
Moderato cantabile, Marguerite Duras

La focalisation interne emploie généralement la première personne du singulier (je) et la troisième personne (il/elle/ils/elles), mais il peut être intéressant de mentionner le fait qu’il est possible d’utiliser le reste des pronoms, bien que ce soit une entreprise qui n’est pas sans risque… La focalisation interne peut donc s’appliquer dans le cas d’une narration homodiégétique ou hétérodiégétique.

Comme vous aurez pu vous en douter, la focalisation interne est caractérisée par le fait que le.a narrateur.ice raconte l’histoire depuis le point de vue d’un seul personnage à la fois. Cela permet d’avoir accès à son intériorité, ce qui est une excellente manière de découvrir la psyché de ce personnage, plonger plus en profondeur dans les conflits entre personnages ou les conflits internes au personnage qui impose son point de vue. Subséquemment, il est possible que le lectorat comprenne plus facilement des personnages controversés par exemple.

Lorsqu’on utilise la première personne du singulier, c’est très souvent dans le cas d’une narration dite « autodiégétique » (souvenez-vous, on avait dit que c’était une sous-catégorie de narration homodiégétique…), c’est-à-dire que le personnage principal narre sa propre histoire. Vous l’aurez compris, c’est la focalisation interne qui va donc très souvent de paire avec cette forme de narration, puisque la plupart du temps, ce personnage raconte ce à quoi il a accès : ses propres pensées. Cela présente l’avantage de permettre au lectorat de s’identifier facilement à lui, en suscitant un fort sentiment d’empathie et d’attachement (à moins que votre personnage soit vraiment détestable…).

Néanmoins, cela peut signifier que certaines informations présentées grâce à la narration ne sont pas fiables ou que d’autres sont cachées, volontairement ou non. De plus, en tant qu’auteur.e, vous devez faire attention à ne pas vous décrire vous-même.

Quant à la troisième personne, elle est utilisée dans le cadre d’une narration dite « hétérodiégétique », la plupart du temps (faites tout de même attention au contexte, puisque le moindre usage de troisième personne ne signifie pas forcément que la narration est hétérodiégétique). Le fait que la narration soit hétérodiégétique et non homodiégétique ne change rien au fait que si la focalisation est interne, le récit dépend du point de vue d’un seul personnage : si vous ne deviez vous concentrer que sur une chose, ce serait donc le type de focalisation.

Bref, toujours est-il que pour ce qui est de l’utilisation de la troisième personne, elle permet d’écarter le risque de tomber dans l’égocentrisme, tout en permettant de se concentrer sur moins de personnages à la fois si l’occasion se présente. De plus, la narration étant hétérodiégétique, elle est susceptible d’être plus objective, même si cela n’est pas forcément le cas à cause du point de vue qui reste cantonné au regard d’un seul personnage.

C’est pour cela que la narration homodiégétique en focalisation interne est couramment utilisée dans les genres comme la romance, car elle permet d’insister sur les sentiments, alors que la narration hétérodiégétique en focalisation interne peut convenir à tous les genres sans trop de difficultés. Cela dit, tout cela dépend bien sûr de l’usage que vous allez faire de la narration et de la focalisation.

Exemple de narration homodiégétique en focalisation interne :

On est chez lui. Il m’a servi un verre de bière. J’écris. Il mâchouille une cigarette qu’il vient de se rouler, demi-tabac, demi-lichen, et qui, lance dans la pièce une puanteur de corne brûlée. Dans un coin, il y a son vieux père, la mère est morte depuis beau temps. Le vieux se parle tout seul, dans le gargouillis de sa mâchoire où il ne reste plus que deux ou trois dents, tout en secouant continuellement sa frêle tête d’étourneau à la façon des angelots à pièce des églises. Au dehors, la neige s’est mise à tomber. La première neige, celle qui réjouit les enfants et dont la neuve blancheur aveugle. On la voit venir parfois près de la fenêtre, en curieuse, comme des centaines d’yeux tournés vers nous, puis repartir effarouchée à grandes brassées vers la rue.
Le Rapport de Brodeck, Philippe Claudel

Exemple de narration hétérodiégétique en focalisation interne :

La porte s'ouvrit immédiatement. Une grande sorcière aux cheveux noirs, vêtue d'une longue robe vert émeraude se tenait dans l'encadrement. Elle avait le visage sévère des gens qu'il vaut mieux éviter de contrarier, pensa aussitôt Harry.
Harry Potter, J. K. Rowling

Tout comme la focalisation interne, la focalisation zéro peut se retrouver dans des récits homodiégétiques ou hétérodiégétiques, bien que ce soient dans ces derniers qu’elle soit la plus commune. En effet, la focalisation omnisciente se caractérise par un.e narrateur.ice qui en sait plus que les personnages, capable de raconter des événements passés comme futurs, et qui se sont passés à différents endroits et/ou époques. Pour que vous rencontriez de la focalisation zéro dans un récit homodiégétique, il faudrait donc que la narration soit prise en charge par un personnage aux capacités particulières : cela pourrait être une déité par exemple, ou du moins une entité capable d’omniscience pour une raison quelconque.

Si le récit est homodiégétique, voire autodiégétique, on peut se douter que toutes les informations distillées ne sont pas forcément vraies. Seulement, cela peut aussi être le cas dans un récit hétérodiégétique. En effet, quel que soit le type de narration, la focalisation omnisciente implique souvent que le récit ne soit pas vraiment objectif. Ce n’est pas parce que le.a narrateur.ice a accès au passé et au destin des personnages, à leurs pensées, et connaît ce qui se passe autour d’eux que ces informations sont fiables, ou que certaines d’entre elles ne vont pas être dissimulées aux yeux du lectorat. Pensez-y : être capable d’omniscience serait justement terriblement utile s’il s’agissait de manipuler les gens, et surtout le lectorat, qui ne connaît du récit que ce que la narration veut bien lui révéler.

C’est pour cela que bien souvent, la focalisation omnisciente se base sur un contrat de confiance implicite qui stipule que le.a narrateur.ice ne ment pas et distille les informations qui lui sont données. Cependant, ce contrat peut être brisé, ou être inexistant en premier lieu : à vous de voir si vous souhaitez mener ce jeu dans votre récit. Que vous choisissiez de respecter ce contrat ou non, il vous faudra soigneusement réfléchir aux moments où vous souhaitez dévoiler ou au contraire dissimuler des informations, car c’est l’un des grands enjeux posés par la focalisation omnisciente.

Ce choix de focalisation peut aussi offrir des avantages, comme le fait de pouvoir présenter aisément son univers, glisser entre plusieurs personnages et présenter leur point de vue sans pour autant s’y restreindre au point de tomber dans de la focalisation interne… De plus, l’omniscience permet de jouer sur le suspense de façon très libre, en présageant d’un danger ou du destin d’un personnage par exemple. Néanmoins, il vous faudra là encore réfléchir au bon moment pour ce faire, sans quoi le récit peut devenir confus.

Tout comme la focalisation externe, la focalisation zéro peut se rencontrer dans de nombreux genres littéraires. Néanmoins, on peut la considérer comme caractéristique d’une méthode d’écriture nommée « flux de conscience », qui se veut coucher à l’écrit les pensées d’un personnage de façon à conserver leur aspect libre et déconstruit (le flux de conscience peut aussi se faire en focalisation interne, même si la limite entre focalisation interne et omnisciente peut être très, très mince).

Exemple de narration hétérodiégétique en focalisation omnisciente :

Il part en direction de la gare maritime du Havre afin de se rendre en Amérique du Nord. C’est la première fois qu’il y va, ce sera la dernière. Il lui reste aujourd’hui, pile, dix ans à vivre
Ravel, Jean Echenoz
Exemples de narration homodiégétique en focalisation omnisciente lors d’un flux de conscience (je plaide coupable, je n’ai pas trouvé d’extrait français qui illustrait assez bien le flux de conscience en focalisation omnisciente) :
A quarter after what an unearthly hour I suppose theyre just getting up in China now combing out their pigtails for the day well soon have the nuns ringing the angelus theyve nobody coming in to spoil their sleep except an odd priest or two for his night office or the alarmlock next door at cockshout clattering the brain out of itself let me see if I can doze off 1 2 3 4 5 what kind of flowers are those they invented like the stars the wallpaper in Lombard street was much nicer the apron he gave me was like that something only I only wore it twice better lower this lamp and try again so that I can get up early.
Ulysses, James Joyce
Et allez, un dernier exemple de mon cru pour illustrer à quoi pourrait ressembler un passage en narration homodiégétique en focalisation omnisciente :
Je m'étais arrêtée sur la place du village, dont les pavés blancs avaient depuis longtemps été recouverts de mousse et de lierre. Au moment où je posai mon pied sur ce qui restait de la fontaine centrale, on sonna l'horloge dans la capitale. L'onde sonore se répercuta sur les hautes tours d'ivoire, et je sus à ce moment-là que ce serait ce même son qui marquerait la naissance de mon successeur, dans six ans, sept mois et onze jours, à l'aube. Sa mère n'a aucune idée de ce qui l'attend, elle pêche près de la rivière de son enfance, vêtue de son insouciance et de sandales en cuir, le sourire aux lèvres et les yeux rivés sur les galets qui tapissent le fond du cours d'eau.

Promis, c’est presque fini !

Cette dernière partie a simplement pour but d’apporter une nuance qu’il est toujours bon de rappeler. En effet, depuis le début de cet article, nous avons étudié un type de focalisation ou de narration à la fois, ce qui peut faire oublier un point important : dans un récit, surtout s’il est long, il est très rare de se limiter à un seul type de focalisation. Au contraire, le type de narration est peu susceptible de changer, et généralement, on le choisit instinctivement (si on ne s’embarrasse pas de ces histoires de diégèse, on se rend compte que le choix du type de narration revient à choisir le type de narrateur.ice et les pronoms qui vont avec, et vous admettrez que vous avez sans doute des préférences là-dessus).

En ce qui concerne la focalisation, pas le choix, il va falloir choisir. Le souci d’utiliser plusieurs types de focalisation, c’est bien qu’il faut savoir quand et comment les employer. Je me doute que c’est un choix qui se fait souvent instinctivement, mais au vu de toutes les informations distillées plus haut, vous devriez être en mesure de conscientiser ce choix afin d’avoir la certitude que c’est le bon ! En effet, il vaut mieux user de chaque type de focalisation avec prudence, en gardant leurs caractéristiques et les écueils à éviter en mémoire…

Cela dit, inutile de trop se mettre la pression : il existe une infinité de façons d’approcher la question de la narration et de la focalisation, pour des résultats très divers. Certains romans, comme Madame Bovary, de Gustave Flaubert, contiennent à la fois des variations de focalisation et de narration (ici, on passe d’une narration homodiégétique à hétérodiégétique puis à nouveau homodiégétique vers la fin). D’autres romans, comme ceux de Jean Echenoz (j’ai cité Ravel plus haut mais la remarque peut être généralisée), donnent l’impression de ne pas réellement être focalisés sur les personnages, car Echenoz fait usage de la focalisation omnisciente d’une façon assez déroutante, tout en évitant une focalisation trop interne.

Il existe aussi des romans dits « romans-chorales », car on change de narrateur.ice, et donc de « voix », en quelque sorte, à chaque chapitre (voire plus souvent). Bien que le type de narration ne varie pas (elle reste souvent hétérodiégétique ou homodiégétique), les romans-chorales permettent donc de présenter différentes visions du monde en fonction de chaque personnage, visions qui nous sont transmises grâce à une focalisation qui change donc régulièrement, elle aussi. En termes de roman-chorale à narration homodiégétique, on peut citer Génération K de Marine Carteron (et plein d’autres livres jeunesse sans doute), et en termes de roman-chorale à narration hétérodiégétique, on peut citer Le Prieuré de l’Oranger de Samantha Shannon.

Et c’est sans compter tous les autres types de romans qui peuvent amener à expérimenter avec la narration et la focalisation…

A retenir !

Narration : Qui raconte ? Quelle est sa relation au récit ? / Focalisation : Qui voit ? Que voit cette personne ?

Deux types principaux de narration :
Hétérodiégétique : le.a narrateur.ice n'appartient pas au récit, ce n'est pas un personnage
Homodiégétique : le.a narrateur.ice appartient au récit (si le.a narrateur.ice est aussi le personnage principal, on parle de narration autodiégétique)

Trois types principaux de focalisation : 
Externe : va souvent de pair avec la narration hétérodiégétique (il/elle/ils/elles) ; permet d'apporter un regard objectif sur des éléments choisis subjectivement (comme une caméra), impliquant nombreuses descriptions et uniquement l'apparence extérieur des événements. 
Interne : peut aller de pair avec une narration aussi bien hétérodiégétique (il/elle/ils/elles) qu'homodiégétique (je, nous). C'est le point de vue d'un seul personnage à la fois, point de vue subjectif et parfois peu fiable. Permet d'accéder à l'intériorité du personnage et susciter de l'empathie, mais gare à ne pas tomber dans l'égocentrisme.
Omnisciente, ou focalisation zéro : va plutôt de pair avec une narration hétérodiégétique, mais rien ne l'empêche d'aller avec une narration homodiégétique (supposant de justifier que le.a narrateur.ice est capable d'omniscience). Ici, le.a narrateur.ice a accès aux pensées de tous les personnages, peut conter des événements passés, présents ou futurs quelle que soit leur localisation. 

Plusieurs types de focalisations sont admis : il est intéressant de réfléchir à celui qui est le plus adéquat dans une situation donnée. Inversement, la narration est peu susceptible de varier. Cependant, ce ne sont pas des règles absolues : il existe plein de façon de faire, ce qui peut donner naissance à des récits avec des changements de narration et de focalisation ou encore des récits dont différentes parties sont narrées par différents personnages (roman-chorale).

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